JE SUIS CHARLIE
11/01/2015
Avant de commencer cet édito spécial, de par les circonstances, je me suis posé la question. Puis-je publier « Je suis Charlie » ?
N'est-ce pas trop facile ? Ces journalistes là, dessinateurs ou chroniqueurs, étaient des femmes et des hommes d'envergure. Des rouages essentiels à la démocratie. Ils se battaient pour la liberté d'expression, mais avant tout pour la liberté. Ici, dans ces colonnes hippiques, on ne se bat que pour de l'éphémère, du ludique, une passion. On ne se bat que pour la liberté d'expression dans un microcosme, alors ne mélangeons pas tout.
Puis j'ai changé d'avis. Car si nous sommes dans un milieu très spécialisé où tout est finalement confortable, est-ce une raison pour laisser ceux qui veulent faire taire la presse, même si elle n'est qu'hippique, prendre le dessus ? Je me suis souvenu que “Charlie” Hebdo était une renaissance de Hara-Kiri, dont j'ai bien connu l'un des artisans, le dessinateur Fred. Leur force, c'était de s'attaquer à tout : à l'essentiel comme au dérisoire.
Il m'avait dit un jour : "La liberté, il faut se battre pour elle car c'est la chose qui a le plus d'ennemis sur terre. Et dans une démocratie, le meilleur moyen de défendre la liberté c'est de l'utiliser en s'exprimant sur tout. C'est pour cela que la liberté d'expression, quel que soit l'importance du sujet, ne doit jamais être remise en cause…". Alors oui, je suis Charlie. Non pas comme humble petit journaliste hippique, mais comme citoyen. Charlie, le nom de l'hebdo, ne l'oublions pas, est venu de la censure d'un État, et du prénom du chef de cet Etat, qui par ailleurs nous avait permis, dans des heures noires, de demeurer libres. Quel paradoxe !
Il était alors trop tôt pour comprendre ceux qui avaient une longueur d'avance. Ceux qui savaient qu'en n'exigeant pas la totale liberté d'expression, on s'exposait à régresser. Pas si simple à l’époque... Pour Charlie Hebdo, ce fut donc difficile. Sa liberté d'expression, il la tenait de ses ventes. Pas de ses revenus publicitaires interdits dans sa philosophie de l'indépendance. Et dans un monde où les lecteurs ont peu à peu perdu cette notion de liberté, tout comme certains journalistes, devenus des attachés de presse peut-être même sans s’en rendre compte, Charlie Hebdo n'allait pas bien. Ses ventes ne suffisaient plus à l'auto-financer. Pour avoir le droit de parler de tout, de rire de tout, Charlie était financièrement dans le rouge. Les lecteurs n'étaient plus assez nombreux… Plus assez de monde, en France, pour prendre conscience qu'une presse libre c'est un garant. Laurent Léger, membre de rédaction de Charlie Hebdo, rescapé miraculeux de ce carnage s’est exprimé en ces termes, vendredi matin : “On était bien seuls, avant que beaucoup de soi-disant républicains ne se fassent entendre...”.
Les consciences étaient comme endormies, chloroformées par des grands génies de la communication, en fait des génies de la manipulation. Ceux qui aujourd'hui se déclarent solidaires de Charlie, alors qu'en parallèle ils font tout pour que la presse indépendante disparaisse. C'est notamment ce qui se passe dans notre microcosme dérisoire…
Alors aujourd’hui, je ne vois qu’une solution. Que les gens de bonne volonté comprennent enfin que l'intérêt de tous est dans la réflexion, la concertation et l’union. Pas dans l'exclusion, ni dans le dictât. Aussi, même si notre domaine hippique est un épiphénomène, il faut affûter les mines. Car Charlie a brisé les barreaux pour nous tous, du plus grand au plus petit média. Que ne pas en profiter c'est oublier ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont vécu, même si l'on n'oubliera évidemment jamais comment cela s'est terminé. Une page est tournée. Il en reste à en écrire. Pour que cette fin tragique serve au moins à réveiller les consciences.